Tozeur qui rit, Tozeur qui pleure ou les deux facettes du tourisme local
9 décembre 2019D’un côté, il y a ces initiatives et ces investissements qui émergent. De l’autre, il y a cet incroyable patrimoine touristique qui dépérit inéluctablement. Entre ceux qui tirent Tozeur vers le haut et ceux qui lui préfèrent un nivellement par le bas, la région s’en retrouve tiraillée.
Tozeur, terre de paradoxes. Dans cette région du sud-ouest tunisien, les plaies de la sévère crise touristique commencée en 2011 restent béantes. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer de les panser. Et ce ne sont pas les initiatives qui manquent, que ce soit au niveau de l’Etat ou celui du privé. Il n’y a qu’à voir le ministre du Tourisme, René Trabelsi, qui se démène comme un beau diable pour tenter autant que faire se peut de redresser la barre et permettre à la zone de reconquérir ses lettres de noblesse d’antan. Aymen Béjaoui, le jeune gouverneur de la région, croit lui aussi dur comme fer dans le tourisme en tant que levier économique et social et affiche tout son soutien au secteur. Une position suffisamment rare pour qu’elle soit mentionnée.
Le côté pile de la ville
Il y a quelques semaines, étaient organisées Les Dunes Electroniques sur le site de Mos Espa à proximité de Ong Jmel. Un festival qui, pendant deux jours, a permis à la musique électronique de retentir jusqu’aux confins du désert et les jeunes de tous bords s’en sont donné à cœur joie. Une opération dont l’objectif était aussi de donner une autre image de la région. L’ONTT avait convié pour l’occasion près de 80 journalistes et influenceurs venus des principaux marchés émetteurs pour en assurer la couverture. En dépit des freins rencontrés par les organisateurs dans les coulisses, en dépit du nombre de participants inférieur aux prévisions (2500 entrées payantes alors que l’on s’attendait au moins au double), l’événement a eu le mérite de sortir la région de sa torpeur: tous les hôtels en fonction ont affiché complet à Tozeur et Nefta, les agences de voyages ont pu faire tourner leur parc de 4×4 et de bus (ou du moins ce qu’il en reste) à plein régime grâce à la dynamique du festival. Sans parler des effets induits indirectement dans l’économie locale.
Cette semaine, c’est le TOIFF qui s’y déroule. Acronyme de Tozeur International Film Festival. Un événement cinématographique comme son nom l’indique et qui rebondit sur l’étonnant succès de sa première édition de l’année dernière. Derrière le TOIFF, quatre instigateurs pleins d’idées et d’enthousiasme (Belhassen Bouden, Houssem Ben Mahmoud, Riadh Ben Omheni et Samy Mhenni). Dans le concept du TOIFF, il y a un aspect social avec la projection de films à l’intention des jeunes de la ville, et il y a aussi son lot d’invités de professionnels du cinéma, qu’ils soient Tunisiens de Tunisie, Tunisiens de l’étranger ou étrangers conviés pour l’occasion -et pas des premiers venus.
Car l’autre aspect de l’événement, c’est aussi tenter de ramener les plus grands producteurs de cinéma dans la région et les inciter à réinstaller leurs caméras comme l’ont fait avant eux Lucas pour la Guerre des Etoiles, Minghella pour Le Patient Anglais, ou encore Zeffirelli pour Jésus de Nazareth pour ne citer que ces exemples. Et le cinéma est sans aucun doute un soutien de taille pour le tourisme pour ce qu’il lui apporte en visibilité concrète qu’aucune campagne marketing n’est capable de fournir.
En termes d’investissement, l’ouverture récente de l’hôtel Anantara Tozeur Resort à la sortie de la ville constitue également un extraordinaire catalyseur pour le tourisme de la région et son image qui a grandement besoin d’être redressée et retravaillée. Le nouvel établissement va drainer une clientèle nouvelle qui n’a absolument rien à voir avec la clientèle traditionnelle de passage pour les excursions. Mais la ville a-t-elle les moyens de savoir les recevoir ?
Côté face de la cité
Mais derrière ces belles initiatives qui dynamisent la cité, il y a malheureusement le revers de la médaille. A commencer par l’état de la palmeraie et des chemins qui la traversent, jonchées de détritus en tous genres, déchets ménagers mais aussi de construction. Dans la vieille ville aussi, tout est loin d’être parfait en termes de propreté. S’y ajoute également la laideur de certains aménagements faits par des privés que l’on constate ici et là (construction ou rafistolages de façades notamment ne respectant pas les normes d’urbanisme locales). Disons-le clairement, la ville n’est pas propre et le défi est grand pour le jeune maire Abdelaati Bey tout récemment élu (son prédécesseur, Ali Hafsi, ayant été élu député).
Pour ne pas arranger les choses, au niveau des infrastructures touristiques, le parcours de golf est malheureusement à oublier. Le green n’est plus qu’un lointain souvenir et le désert a repris ses droits sur ce qui fut l’une des fiertés du tourisme saharien à une époque donnée.
Mais là où le bât blesse encore plus, c’est certainement au niveau de ces hôtels totalement à l’abandon qui ont dû mettre la clé sous le paillasson faute de clients. Ils sont 14 en tout pour une capacité de 2700 lits rappelait récemment le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, précisant toutefois que « deux étaient prêts à l’emploi » et étaient à la recherche de locataires. « C’est injuste de demander des intérêts de retard aux hôteliers qui n’y sont pour rien » a déclaré René Trabelsi lors d’une conférence de presse à l’occasion de l’un de ses derniers passages en ville. Allusion faite aux banques qui ont saisi les établissements endettés et incapables de rembourser les crédits contractés.
« Il faudrait que les banques revoient leur position par rapport à ces hôtels. Je vais réunir tout le monde pour trouver des solutions, c’est à dire soit céder à des sociétés d’investissements, soit à des locaux » a-t-il ajouté. Malgré cette bonne volonté, la situation ne semble pas si évidente et les établissements fermés au cœur même de la zone touristique donnent la mesure de la gravité de la situation vécue par les promoteurs obligés aujourd’hui d’abandonner ce patrimoine.
Karim Cherait, hôtelier et investisseur dans la région, résumait récemment la situation : « entre 2011 et 2017, le Sud tunisien était considéré comme « Zone rouge » par toutes les ambassades résidentes en Tunisie. Jamais cette zone n’a été décrétée comme région sinistrée. Aucune mesure, rien n’a été pris en notre faveur par nos différents gouvernements. Résultat: 22 hôtels sur une trentaine sont encore fermés à fin 2019. Et toujours pas de solutions » a déploré le patron de Diar Abou Habibi et Chak Wak notamment.
Et la liste des établissements fermés à Tozeur mais aussi à Nefta et environs est tristement longue et plusieurs font désormais partie de l’histoire ancienne : Sahara Palace, Bel Horizon, La Rose, Neptus, Touring Club, Nomades, Tamerza Palace, Yadis Oasis, Splendid, Continental, Palmyre, Ramla, Basma, Sarra, Dar Cherait (son musée reste cependant ouvert), Touareg, Les Dunes ou encore Le Fort des Autruches.
« Seule une volonté et une décision politiques redonneraient vie au sud tunisien » considère pour sa part Amor Ellafi, directeur général d’hôtel. « Sa commercialisation est aisée et garantie par les professionnels ».
Au niveau du matériel roulant, la situation n’en est pas moins réjouissante. « Le parc de 4×4 en 2010 était de plus de 400 véhicules. En 2019, il n’excède pas plus de 60 véhicules dont la plupart ont plus de 15 ans » souligne encore Karim Cherait. On veut des touristes, on investit pour en ramener, et on n’a pas de quoi les transporter ! La Fédération Tunisienne des Agences de Voyages (FTAV), face à la flambée des véhicules neufs et aux freins administratifs rencontrés, en est arrivée à demander à ce que les agences puissent importer des véhicules d’occasion de l’étranger car acheter du neuf localement est désormais impossible à amortir. Mais la demande bien-sûr a reçu une fin de non-recevoir.
Pour les professionnels qui survivent encore (économiquement) dans la région, l’absence de liaisons aériennes directes et régulières ne contribue pas à l’amélioration de la situation touristique qui prévaut. Sur le plan international, Tunisair a assuré deux vols sur Tozeur, au départ de Paris et de Lyon jusqu’à mars 2015, mais cela fait désormais partie de l’histoire ancienne. Quant aux liaisons intérieures, elles sont également entravées par les problèmes de flotte de Tunisair Express. Cette dernière annonce cependant qu’avec l’arrivée des nouveaux avions, elle sera en mesure d’assurer une liaison quotidienne avec la capitale. Mais pour garantir la rentabilité de la ligne, elle ne pourra de toute évidence plus pratiquer le tarif de 99 dinars qui lui avait été imposé depuis le gouvernement Essid, d’autant plus que l’ONTT a décidé de supprimer la subvention qu’elle lui octroyait en retour. Le transporteur n’est donc pas sorti de l’auberge.
Et quand vous vous apprêterez à terminer votre séjour et quitter la ville par voie aérienne, votre regard ne pourra éviter les vieux Boeing 747 de Saddam Hussein stationnés depuis 1990 dans un coin de l’aéroport qui tombent en ruine sans qu’aucune solution n’ait été trouvée à ces tas de ferrailles qui font presque frémir. Ces appareils à l’abandon sont finalement à l’image de la région, pleine d’ambition, pleine de principes, mais finalement freinée dans son élan par les vents contraires qui la frappent régulièrement.
Hédi HAMDI
Laisser un commentaire