Radhouane Ben Salah, président de la FTH : «Signer des contrats en devises, solution bloquée par la BCT»
16 septembre 2016Dans la tourmente de la crise qui secoue les unités hôtelières désertées depuis 2015 après les attentats du Bardo et de Sousse, le plan de sauvetage du secteur tarde à être mis en application. Des décisions prises depuis juin 2015 afin d’alléger les charges financières sur les hôteliers sont toujours bloquées.
D’autres initiatives ont du mal à voir le jour, comme la signature des contrats en devises avec les T.O. Bref, les professionnels sont entre le marteau des problèmes structurels et l’enclume des contraintes conjoncturelles et la lourdeur administrative. Dans cet entretien, Radhouane Ben Salah, président de la FTH (Fédération tunisienne de l’hôtellerie) pointe du doigt la Banque centrale qui bloque selon lui la mise en application des mesures prises en faveur du secteur, ainsi que la signature des contrats en devises avec les tour-opérateurs.
On ne cesse de parler depuis un bon bout de temps de la restructuration du secteur touristique et de l’amélioration des services dans les hôtels, mais réellement rien n’a changé. Ne pensez-vous que c’est le moment de faire bouger les choses ?
En parlant de la restructuration, bien qu’une partie nous revienne, le gouvernement a la charge de la plus grosse partie, compte-tenu du fait que les finances propres des professionnels ne suffisent plus pour mettre sur pied un tel programme. J’ajoute qu’un programme de restructuration veut dire alléger les charges financières des hôtels en envisageant une solution pour le fardeau de l’endettement. Mais pas seulement, car il fallait trouver de nouvelles ressources de financement qui soient exploitées avec les fonds propres dans la rénovation des hôtels, la formation des personnels et la modernisation des moyens de commercialisation.
En réalité, nous l’avons demandé depuis longtemps. Or, le gouvernement n’a réagi qu’en 2015 avec la Loi de finances complémentaire. Hélas, cette dernière ne suffit pas car elle requiert aussi une circulaire de la Banque centrale détaillant les mesures autorisant l’application de ces décisions. Cette circulaire n’a jamais vu le jour malheureusement. De plus, nous avons besoin d’une nouvelle stratégie dont nous avons déjà esquissé les grandes lignes.
Si nous voulons avancer avec ce secteur qui devra rebondir le plus rapidement, nous sommes contraints de lui donner les moyens pour qu’il puisse le faire. D’ailleurs, nous n’avons jamais demandé de l’argent sans contrepartie. Toutefois, le remboursement devra être dans les délais similaires aux pays concurrents, soit sur 20 et 25 ans, avec des conditions beaucoup plus avantageuses et non pas sur 10 ans et avec des clauses trop strictes. Il faut savoir que dans les pays concurrents, le TMM est très bas, soit entre 0 et 2%, tandis qu’en Tunisie, le TMM est à 4,8%. Avec les 4% -la marge de la banque-, cela devient insupportable pour les hôteliers, d’autant plus que cela pèse énormément sur la compétitivité de nos unités hôtelières par rapport aux pays concurrents.
D’après vous, où réside le mal ? Et que proposez-vous comme alternatives ?
À mon avis, nous avons suffisamment de lits pour le balnéaire et le tourisme classique. Il est crucial, de ce point de vue, de développer d’autres modes d’hébergement comme les maisons d’hôtes et les gîtes ruraux, mais également diversifier les nouvelles composantes de produits, comme le tourisme sportif, le tourisme de chasse, le tourisme saharien et culturel, etc.
Toutes ces alternatives sont tracées noir sur blanc sur le papier, mais nous n’arrivons pas à les mettre en exécution. Et c’est là où le bât le blesse, car le ministère du Tourisme n’est pas le seul concerné par le secteur touristique, puisqu’il y a aussi le ministère des Affaires culturelles, le ministère des Finances, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et la Banque centrale. Sans oublier, par ailleurs, l’environnement qui constitue un maillon important de la chaîne touristique. Les touristes n’acceptent pas de venir en Tunisie aujourd’hui pour voir autant de saleté dans les rues.
On constate d’après ce que vous avez dit que la stratégie pour le développement du secteur et sa restructuration sont là, mais les autorités concernées font toujours la sourde oreille. Ne pensez-vous pas que c’est le moment d’exercer un forcing auprès du ministère du Tourisme et du gouvernement afin d’accélérer l’application de cette stratégie et des mesures annoncées en 2015 pour sauver le secteur ?
Justement, nous sommes en train de le faire. En effet, la ministre du Tourisme va, soit nous réunir avec le chef du gouvernement, soit lui transmettre toutes nos doléances pour qu’il agisse afin de mettre le plan de sauvetage du secteur en application.
Le gouverneur de la Banque centrale a déclaré récemment à notre site que le secteur du tourisme est en train d’agoniser et qu’il n’existe pas de solutions pour le sauver. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas vrai. Les solutions existent toujours. Dans ce sens, j’évoque que le nouveau gouvernement est en train de trouver des lignes de crédits à long terme, entre 20 et 25 ans. Par ailleurs, je demande de nous octroyer des avantages similaires à nos concurrents et vous allez voir que nous sommes capables de développer et faire sortir le tourisme de l’ornière.
Quand pourrez-vous bénéficier de ces lignes de crédits ?
Je ne sais pas exactement car c’est le gouvernement qui travaille là-dessus. Néanmoins, je pense que le nouveau ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, Mohamed Fadhel Abdelkefi, est bien sensibilisé sur ce sujet et il a de grandes relations et connaissances concernant les sources de financement qui peuvent nous octroyer des crédits à long-terme et avec des conditions intéressantes.
L’une des solutions qui pourrait avoir un impact positif sur l’avenir du secteur touristique, c’est la signature des contrats en devises avec les T.O et pas en dinar. Pourquoi tarde-t-elle encore à être appliquée ?
Signer des contrats en devises, cette solution a été toujours bloquée par la BCT. Cette dernière a juste recommandé de signer des contrats en devises afin d’éviter les pertes subies en cas de glissement du dinar. Mais cette recommandation ne sert à rien. Nous voulons une circulaire qui exige des contrats en devises pour qu’on puisse dire aux T.O. que nous avons une exigence. A ce moment-là, les hôteliers pourront se réunir autour de cette décision et pousser les T.O. à l’appliquer. Mais actuellement, ces T.O. sont plus forts que les unités hôtelières et nous sommes incapables de leur imposer quoi que ce soit.
C’est une décision urgente et nécessaire pour le bien du secteur mais aussi du tourisme. Cette année, nous avons enregistré des pertes atteignant 11% qui sont allées directement dans les poches des T.O, car le dinar tunisien a affiché un glissement de 11% en 6 mois. Il faut donc arrêter cette hémorragie et penser à intervenir rapidement avant qu’il ne soit trop tard.
Quel rôle pourrait être joué par les chaînes d’hôtels internationales qui sont installées ou qui comptent s’installer en Tunisie pour aider à sortir de la crise actuelle de l’hôtellerie ?
Il faut, d’abord, comprendre que les chaînes hôtelières internationales prennent les hôtels en gestion pour compte. C’est-à-dire, c’est le propriétaire qui paye, mais c’est eux qui gèrent. Donc, il y a des chaînes qui peuvent améliorer l’image de la Tunisie comme Four Seasons qui compte s’implanter en Tunisie, car il a une qualité de clientèle qui est supérieure à ce qui existe en Tunisie. Idem pour Ritz Carlton qui va être à Carthage. Cela contribuera à redorer l’image de la Tunisie. Par contre, il y a des chaînes qui n’ont pas un grand savoir-faire ou leur savoir-faire est l’équivalent du gestionnaire tunisien, pour ne pas dire inférieur.
Propos recueillis par Kemel Chebbi
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