« 80% des agences de voyages ne passeront pas le cap du 31 octobre », prévient le président de la FTAV
23 septembre 2020Sans activité ni clients, les agences de voyages en Tunisie se disent vouées à une mort certaine à court ou à moyen terme. Une enquête récente de leur syndicat patronal, la FTAV, révèle que 80% d’entre-elles n’auront pas la capacité financière de tenir au-delà de deux mois, 18% ont encore la possibilité de résister encore deux à trois mois, tandis que seules 2% pourront aller au-delà des 3 mois. Explications de Jabeur Ben Attouch, président de la FTAV.
En pleine tourmente sanitaire, les agences de voyages ont-elles bénéficié des aides promises par l’Etat ?
6 mois après le début de la crise Covid, nous en sommes toujours au point de départ ! Après les multiples demandes, les réunions, les négociations avec les ministères, nous continuons de tourner autour du pot (exception faite des décrets émis par la présidence du gouvernement pendant la période de confinement).
Nous avions malgré tout une lueur d’espoir dans la reprise du tourisme, mais malheureusement, nous avons été rattrapés par la réalité sanitaire. Maintenant, si l’Etat n’intervient pas, dans les deux à trois mois, le secteur sera déclaré en faillite avec ses conséquences notamment sociales. Nous avons le sentiment d’avoir été bernés par les promesses.
Nous venons de réaliser une enquête sur l’impact du Covid-19 sur le secteur des agences de voyages. Les résultats sont édifiants et montrent toute la détresse de notre secteur qui emploie, entre permanents et saisonniers, environ 20.000 personnes. 28% d’entre-elles ont perdu leur emploi, ce qui correspond à peu près à 6000 personnes et ce uniquement au cours des 6 derniers mois.
Quelles sont les grandes lignes que l’enquête a révélé ?
Les agences de voyages ont donné leurs chiffres. On a beaucoup parlé de l’aide de 200 dinars octroyée en avril et en mai. 71% des agences ne l’ont pas reçue, ce qui montre le degré de « sérieux » de cette aide, à tel point que certains employés en sont arrivés à douter de la crédibilité de leur employeur.
Les professionnels ne peuvent plus assumer leurs dus auprès de la CNSS. D’où la demande de reporter le versement des cotisations sociales des troisième et quatrième trimestre 2020 ainsi que celles des deux premiers trimestres 2021.
De combien les agences de voyages ont-elles besoin pour survivre et passer le cap actuel ?
Sur les 268 agences de voyages qui nous ont répondu dans l’enquête, le montant demandé est de 41,9 MD de prêt. Sauf que cela ne représente que le cinquième des besoins réels si l’on considère que le secteur en Tunisie compte près de 1300 agences, entre celles affiliées à la FTAV (754) et celles qui ne le sont pas.
Pourquoi jusqu’à présent les crédits n’ont-ils pas été débloqués par les banques selon vous ?
Depuis juillet dernier, et en dépit de l’accord intervenu sur les 2 points de bonification accordés ainsi que le taux d’intérêt de 1,75% convenu, nous attendions la signature entre la Sotugar et les banques qui devait intervenir pour garantir les crédits. Sauf que les banques ont contesté certains articles de l’accord, ce qui fait que le dossier doit de nouveau revenir au ministère des Finances. L’Etat ne peut pas forcer les banques à accepter et notamment les banques privées. Ceci m’amène à me poser une question directe : y a-t-il un sentiment de responsabilité chez les concernés ?
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Vous avez également évoqué à maintes reprises la question du leasing et de votre volonté de reporter les échéances de paiement.
En 2019, le secteur touristique a enregistré une belle embellie, ce qui a encouragé les agences de voyages à investir dans du matériel roulant neuf. Sauf que la crise du Covid a tout bouleversé. L’arrêt total d’activité les empêche de pouvoir payer leurs traites auprès des compagnies de leasing. Nous avions obtenu dans un premier temps un moratoire jusqu’à septembre, comptant sur une reprise du tourisme en été. Il n’en fut rien bien évidemment, ce qui nous oblige aujourd’hui une nouvelle fois à demander un rééchelonnement des échéances de leasing jusqu’à la fin 2021. Sauf que les sociétés de leasing sont elles-mêmes des intermédiaires dépendant du bon vouloir des banques qui ne l’entendent pas de cette oreille.
Qu’en est-il des agences billettistes et de leurs rapports avec les compagnies aériennes ?
Là encore, les chiffres sont alarmants. Suite à l’annulation des vols en mars 2020, les compagnies aériennes sont redevables de près de 15 MD aux agences de voyages pour les billets émis mais non utilisés par les passagers. La moitié de cette somme est chez Tunisair, l’autre chez les compagnies aériennes étrangères. Ce montant concerne les vols réguliers et je ne parle pas des charters (notamment la Omra en attente).
Ce que nous demandons aujourd’hui au ministère des Finances, c’est de lever les frais automatiques générés par les cautions IATA auprès des banques et qui atteignent actuellement 700.000 dinars par mois, ce qui est énorme. C’est une économie qui profiterait aux agences de voyages billettistes, mais seul l’Etat tunisien peut l’ordonner car l’IATA maintient sa position sur ces cautions en dépit de l’effondrement de la vente de billets d’avion dans les agences.
Ce qui nous inquiète également, c’est le risque de faillite des compagnies aériennes qui sont très mal en point actuellement, y compris Tunisair. La disparition de l’une d’entre-elles signifierait pour les agences billettistes la perte définitive des montants dûs.
Y a-t-il moyen de sauver les agences de cette mort annoncée ?
Nous avons proposé aux différentes autorités un plan en 12 points. Il va de soi que si les crédits bancaires sont accordés (ce sont des crédits et non pas des dons), la situation sera moins grave. Cependant, il s’agit aussi de mettre en oeuvre les décisions et les mesures d’accompagnement promises sur 6 mois et qui s’avèrent maintenant insuffisantes.
On demande également à ce que la plate-forme entreprise.finances.gov.tn soit rouverte aux agences de voyages qui ne s’étaient pas inscrites (car celles-ci avaient espoir d’une reprise rapide de l’activité). Elles demandent elles aussi de bénéficier des aides de l’Etat. Nous souhaiterions par ailleurs un report des échéances fiscales et de CNSS au moins pour 12 mois, de lever provisoirement les poursuites fiscales en cours et l’exonération de la TVA sur les mois d’août et de septembre. Il y a aussi des demandes que nous avons soumises concernant la retraite anticipée à 55 ans, d’une loi sur la baisse des baux de loyers pour les agences de voyages, etc.
Au niveau de la FTAV, nous continuons malgré tout à œuvrer à soutenir les agences de voyages dans cette situation de crise et continuons de croire que l’agent de voyage a un rôle à jouer dans le contexte sanitaire actuel. Etant donné que nous devons cohabiter avec le virus, il faudra nous adapter à l’avenir. Les médecins et le corps médical joueront leur rôle sur le plan médical, la police et la douane joueront le leur au niveau sécuritaire, et les agences joueront leur rôle sur le plan de l’encadrement et du transport des voyageurs, qu’ils soient touristes ou individuels. Nous allons soumettre un projet dans ce sens au gouvernement, mais aussi à l’IATA, à l’OMS, à l’OMT, à l’ECTAA, etc. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
Propos recueillis par Hédi HAMDI
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